Je laisse un morceau de moi-même partout par où me portent mes pas. D’ici le bonheur de retourner dans des endroits que j’ai déjà vus. En réalité, je fais plus que voir un endroit : j’y vis tout en reniflant une existence que je crois mienne.
Ce que je vis n’est d’ailleurs qu’une de potentielles vies, car tout reste dans le possible pendant que distraite, je rêve, je dors et même pendant que je ne fais rien du tout. Qu’advient-il de ce tout potentiel? Est-il stocké quelque part? Où et par qui?
Serais-je l’orfèvre de la mise en attente du possible? Alors, quant le sort semble tomber dans du prédestiné, est-ce de ma faute? Soucieuse de mieux apprendre, je répète mes erreurs. Par la suite, je suis déçue de n’avoir rien appris… C’est ainsi que la désillusion naît?
Toute désillusion est un bon moyen de me découvrir. Ce n’est pas la personne, la situation, l’endroit, l’odeur, le goût qui me déçoivent, mais plutôt les attentes que j’ai projetées avant de bien connaître la personne, saisir le geste, humer l’endroit… C’est en sachant ce que j’attends du monde et de moi-même, c’est en prenant le soin de bien définir que je puisse un jour arriver à saisir qui suis-je. Il m’arrive de comprendre que je suis une désillusion pour un autre, mes gestes – des blessures pour les autres. Jusqu’à l’atteinte de cette lucidité je me conforte dans l’illusion d’une rigueur morale et d’une rectitude sans failles. Et ensuite? Je fais quoi du tout ce savoir?
Je laisse un morceau de moi-même dans chaque personne que je rencontre. C’en est la raison pour laquelle je garde, sans effort, dans mes souvenirs tous les gens que j’ai rencontrés parfois seulement pour le court laps de temps nécessaire à une discussion à la sauvette au bord d’un trottoir dans une ville perdue. Oh, je ne garde pas le souvenir complet, juste un morceau de l’âme de cette personne…tout comme je lui en fais cadeau un fragment du mien. Le souvenir n’est pas comme une photo prise en cachette : empreinte claire, visible, offrant la possibilité d’une relecture du moment ou du visage. Les morceaux de souvenir ont plus de subtilité et, le goût oublié, le parfum d’une seconde peuvent tout raviver pour un moment ou le restant d’une vie.
Désillusion de la non mémoire, de l’oubli, du non dit, du trop dit ou du mal dit.