une histoire... de couple

Ce soir tout semblait dans l’ordre: pendant le souper nous parlions de nos plans d’avenir. Chacun avait son assiette bien remplie, un verre de vin rouge à portée de la main. Tout semblait en ordre. La dernière engueulade datait d’une semaine ou plus… qui peut se rappeler ces affaires. Ah, les filles et leurs demandes constantes d’attention, de tendresse infinie, d’amour éternel. Non, mais à part tout cela, peut-on parler sérieusement, quelques minutes pour planifier des choses!

Elle parlait, j’étais un peu absent, j’avais eu une journée difficile au bureau. Je l’écoutais, je vous dis, mais d’une oreille un peu distraite. Elle me racontait sa journée à la maison, les histoires de sa meilleure amie, Janine, tombée amoureuse d’un bon-à-rien. Ces histoires que les filles aiment raconter et remuer entre elles, je pense. 

Je l’écoutais, mais je revoyais le film de ma journée remplie des réunions difficiles, sans queue et sans fin depuis que le boss avait été remplacé par la jeune nouvelle recrue. Cette femme célibataire qui rit trop fort, qui parle encore plus fort et qui s’habille d’une façon trop voyante et sans élégance nous ennuie avec ses longues tirades. En somme, après l’analyse du discours, rien de bon et de valable ne subsiste. Je n’exagère pas, je prends des notes comme les sténographes de la vielle école et après les réunions je m’amuse à revoir la totalité de son discours. Rien!

À un moment donné, elle quitte la table sans rien ajouter et s’en va dans le bureau. Je reste seul avec mes pensées, je finis mon verre. Je l’entendais déplacer des tiroirs, soulever des boîtes, bouger des cintres. Chérie, cherches-tu quelque chose? Aucune réponse, mais le rythme de ses activités semble accéléré.   

Arrivé au seuil de la porte, je la vois ranger furieusement une valise avec ses choses. Mon amour, je lui dis, nous avons encore trois mois avant le voyage et de toute manière, nous avons convenu de faire une liste et de voyager léger, tu te rappelles, n’est-ce pas? Rien!


Son visage fermé, elle continue furieusement de boucler sa valise. Laisse-moi passer, me dit-elle, une fois la valise bouclée. Où vas-tu? Veux-tu que je te dépose quelque part? Mais tu ne m’as rien dit sur tes plans de voyage. Quand comptes-tu être de retour? 

Elle est partie en claquant la porte. Avec une force inutile. Je suis resté débout et j’ai écouté sa voiture qui démarrait, le crissement des pneus et le départ pressé, comme si sa vie était en danger. J’ai mis mes mains dans les poches et j’ai pensé que je ne comprends pas les femmes, les processus cognitifs qui les font agir ou, parfois, réagir.

Un autre verre de vin s’imposait pour tâcher de comprendre la situation. Non, mais était-elle partie pour de bon et pour toujours? Attendait-elle que je lui courre après comme la dernière fois quand j’avais dû appeler toutes ses amies que je connaissais? J’avais même téléphoné à sa mère qu’elle déteste. La pauvre femme n’en revenait pas en entendant que sa fille avait disparue depuis deux jours.

Une semaine plus tard, elle était de retour. Elle avait eu besoin d’une pause, de se retrouver seule sur une plage, dans le sud de la Thaïlande. J’ai fait tout un travail d’assimilation de notre vie de couple, m’a-t-elle expliqué. J’avais besoin de m’approprier cette nouvelle situation que notre vie de couple représente, de décoder mes émotions, d’accepter que ma vie sera à jamais transformée.

Je la regardais incapable de prononcer une parole. Mais bon sang, au moins, tu aurais pu m’avertir, j’ai téléphoné à tes amies, à ta mère, je m’apprêtais à annoncer ta disparition à la police, j’ai articulé à un moment donné.


J’avais besoin de réfléchir à ce qui m’arrive, à ce que nous arrive, a-t-elle continué, comme si je n’avais rien dit. Mais que nous arrive-t-il? Depuis des millénaires, les gens sont tombés en amour et ont emménagé ensemble. Il n’y a rien de compliqué, c’est naturel. Non, pas pour moi, et elle a continué sa cure psychanalytique en reconstruisant son passé et en le mettant en relation avec le présent. 

J’aurais dû fuir, je sais, mais je ne l’ai pas fait. Je lui ai prêté une oreille distraite, j’ai enregistré certains détails liés à sa liste de relations difficiles, ses geignements à l’adresse de ses parents qui n’avaient pas su ni voulu contribuer à son épanouissement. 

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